• Extraits des romans de Colette<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>

    Vie de Colette : scandale sur scandale ; puis tout bascule et elle passe au rang d'idole.
    Cocteau<o:p></o:p>

    La femme cachée (1924) <o:p></o:p>

    On peut dire, sans aucun jugement, que Colette était bisexuelle.<o:p></o:p>

    Je tâche d'oublier les parfums qui flottent, cacophoniques. D'ailleurs mes deux voisines, jolies, sentent bon. Le santal de la brune me lasserait à la longue, et je sais que derrière la " rose rouge " dont se vaporisa la blonde se cache, au second de l'olfactif, une vague fétidité d'encre fraîche. Mais quoi ? nous ne passerons pas notre vie ensemble, cette brune, cette blonde, et moi.

    La brune est jolie, et charmante est la blonde oxygénée. Mais la brune, toute velours gris à panneau de perles couleur de flamme, colletée de renards argentés, chaussée de paillettes, de plumes d'oiseaux et de strass, gantée d'entonnoirs brodés, coiffée d'une nue aux aigrettes qui suspend, au-dessus de deux astres, une menace d'orage, la brune resplendit de l'élégance un peu brutale qui plaît aujourd'hui ... Les gourmandes et les bavardes se sont tues à son entrée. On la contemple, et les regards d'envie l'embellissent comme une pluie d'été lustre l'émail d'un martin pêcheur. Elle a chaud, boit en pigeonne, le cou tendu et le jabot penché. Elle a deux gestes, aussi fréquents que des tics, mais qui ressortissent à une coquetterie raisonnée : de l'index, elle chasse au-dessus de son sourcil une boucle brune très légère, et l'on voit briller, près de l'oeil allongé, l'ongle en amande ; elle enfonce, sur sa nuque, un trident d'écaille, et l'oeil suit, quand son bras se lève, la rondeur de son sein qui remonte, bien suspendu, en même temps que le bras.

    La blonde ... la blonde est charmante à sa façon. Ce n'est qu'une blonde en crêpe marocain et cape de panne, une blonde à l'encolure courte, à la bouche carnassière. Ses tics ne l'embellissent pas. Elle lance le menton en avant, d'une façon doguine, et elle fronce le nez comme un petit phoque qui sort de l'eau, en clignant des yeux. Ce n'est pas joli ... Je voudrais le lui dire ... A la bonne heure ! Voici qu'elle imite, sous le feu des regards, le jeu de son amie. Elle bombe le buste, tapote d'une main son chignon bas tout en or. Ainsi une soeur cadette imite, inconsciemment, l'aînée déjà sûre de séduire. Quel plaisir pour les yeux que ces deux paonnes bien apprises ! <o:p></o:p>

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    La fin de Chéri. (1926)<o:p></o:p>

    Mais il laissa encore une fois retomber sa main tendue vers le téléphone. Il descendit rapidement , sur la laine élastique et haute qui couvrait tous les parquets de la maison, regarda avec mansuétude, en passant près de la salle à manger, cinq assiettes blanches, en couronne autour d'une vasque de cristal noir où voguaient des nymphéas roses, du même rose que la nappe, et ne s'arrêta qu'à la glace qui doublait l'épaisse porte du parloir, au rez-de-chaussée. Il cherchait et redoutait cette glace, qu'une porte-fenêtre trouble et bleue, assombrie par les feuillages du jardin, éclairait en face. Un choc léger arrêtait Chéri, chaque fois, contre son image. Il ne comprenait pas pourquoi cette image n'était pas exactement l'image d'un jeune homme de vingt-quatre ans. Il ne discernait pas non plus les points précis où le temps, par touches imperceptibles, marque un beau visage l'heure de la perfection, puis l'heure d'une beauté plus évidente qui annonce déjà la majesté d'un déclin. <o:p></o:p>

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    Sido ou les points cardinaux(1929)<o:p></o:p>


    Sido, "le personnage principal de ma vie", est aussi le héros de cette oeuvre. Souvenirs d'enfance, d'adolescence. Les"points cardinaux" du sous-titre symbolisent la liberté totale dans les allées et venues de l'enfant. Colette décrit la genèse de son amour pour la nature. Les retours à la maison maternelle sont plus que des retours au pays, mais des retours en soi-même, vers l'essentiel. Elle a écrit ce roman pour sa fille Bel-Gazou.<o:p></o:p>

    Sido<o:p></o:p>

    Dans mon quartier natal, on n'eut pas compté vingt maisons privées de jardin. Les plus mal partagées jouissaient d'une cour, plantée ou non, couverte ou non de treilles. Chaque façade cachait un « jardin-de-derrière » profond, tenant aux autres jardins-de-derrière par des murs mitoyens. Ces jardins-de-derrière donnaient le ton au village. On y vivait l'été, on y lessivait ; on y fendait le bois l'hiver, on y besognait en toute saison, et les enfants, jouant sous les hangars, perchaient sur les ridelles des chars à foin dételés.

    Les enclos qui jouxtaient le nôtre ne réclamaient pas de mystère : la déclivité du sol, des murs hauts et vieux, des rideaux d'arbres protégeaient notre « jardin d'en haut » et notre « jardin d'en bas ». Le flanc sonore de la colline répercutait les bruits, portait, d'un atoll maraîcher cerné de maisons à un « parc d'agrément ». les nouvelles.

    De notre jardin, nous entendions, au Sud, Miton éternuer en bêchant et parler à son chien blanc dont il teignait, au 14 juillet, la tête en bleu et l'arrière-train en rouge. Au Nord, la mère Adolphe chantait un petit cantique en bottelant des violettes pour l'autel de notre église foudroyée, qui n'a plus de clocher. À l'Est, une sonnette triste annonçait chez le notaire la visite d'un client... Que me parle-t-on de la méfiance provinciale ? Belle méfiance ! Nos jardins se disaient tout.

    Oh ! aimable vie policée de nos jardins ! Courtoisie, aménité de potager à « fleuriste » et de bosquet à basse-cour ! Quel mal jamais fût venu par-dessus un espalier mitoyen, le long des faîtières en dalles plates cimentées de lichen et d'orpin brûlant, boulevard des chats et des chattes ? De l'autre côté, sur la rue, les enfants insolents musaient, jouaient aux billes, troussaientt leurs jupons, au-dessus du ruisseau ; les voisins se dévisageaient et jetaient une petite malédiction, un rire, une épluchure dans le sillage de chaque passant, les hommes fumaient sur les seuils et crachaient... Gris de fer, à grands volets décolorés, notre façade à nous ne s'entrouvrait que sur mes gammes malhabiles, un aboiement de chien répondant aux coups de sonnette, et le chant des serins verts en cage.

    Peut-être nos voisins imitaient-ils, dans leurs jardins, la paix de notre jardin où les enfants ne se battaient point, où bêtes et gens s'exprimaient avec douceur, un jardin où, trente années durant, un mari et une femme vécurent sans élever la voix l'un contre l'autre...

    Il y avait dans ce temps-là de grands hivers, de brûlants étés. J'ai connu, depuis, des étés dont la couleur, si je ferme les yeux, est celle de la terre ocreuse, fendillée entre les tiges du blé et sous la géante ombelle du panaïs sauvage, celle de la mer grise ou bleue. Mais aucun été, sauf ceux de mon enfance, ne commémore le géranium écarlate et la hampe enflammée des digitales. Aucun hiver n'est plus d'un blanc pur à la base d'un ciel bourré de nues ardoisées, qui présageaient une tempête de flocons plus épais, puis un dégel illuminé de mille gouttes d'eau et de bourgeons lancéolés... Ce ciel pesait sur le toit chargé de neige des greniers à fourrages, le noyer nu, la girouette, et pliait les oreilles des chattes... La calme et verticale chute de neige devenait oblique, un faible ronflement de mer lointaine se levait sur ma tête encapuchonnée, tandis que j'arpentais le jardin, happant la neige volante... Avertie par ses antennes, ma mère s'avançait sur la terrasse, goûtait le temps, me jetait un cri :

    – La bourrasque d'Ouest ! Cours ! Ferme les lucarnes du grenier !... La porte de la remise aux voitures !... Et la fenêtre de la chambre du fond !

    Mousse exalté du navire natal, je m'élançais, claquant des sabots, enthousiasmée si du fond de la mêlée blanche et bleu-noir, sifflante, un vif éclair, un bref roulement de foudre, enfants d'Ouest et de Février, comblaient tous deux un des abîmes du ciel... Je tâchais de trembler, de croire à la fin du monde...

    Mais dans le pire du fracas ma mère, l'oeil sur une grosse loupe cerclée de cuivre, s'émerveillait, comptant les cristaux ramifiés d'une poignée de neige qu'elle venait de cueillir aux mains mêmes de l'Ouest rué sur notre Jardin...

    Ô géraniums, ô digitales... Celles-ci fusant des bois-taillis, ceux-là en rampe allumés au long de la terrasse, c'est de votre reflet que ma joue d'enfant reçut un don vermeil. Car « Sido » aimait au jardin le rouge, le rose, les sanguines filles du rosier, de la croix-de-Malte, des hortensias et des bâtons-de-Saint-Jacques, et même le coqueret-alkérenge, encore qu'elle accusât sa fleur, veinée de rouge sur pulpe rose, de lui rappeler un mou de veau frais... À contrecoeur elle faisait pacte avec l'Est : « Je m'arrange avec lui », disait-elle. Mais elle demeurait pleine de suspicion et surveillait, entre tous les cardinaux et collatéraux, ce point glacé, traître, aux jeux meurtriers. Elle lui confiait des bulbes de muguet, quelques bégonias, et des crocus mauves, veilleuses des froids crépuscules.

    Hors une corne de terre, hors un bosquet de lauriers-cerises dominés par un junko-biloba - je donnais ses feuilles, en forme de raie, à mes camarades d'école, qui les séchaient entre les pages de l'atlas - tout le chaud jardin se nourrissait d'une lumière jaune, à tremblements rouges et violets, mais je ne pourrais dire si ce rouge, ce violet dépendaient, dépendent encore d'un sentimental bonheur ou d'un éblouissement optique. Étés réverbérés par le gravier jaune et chaud, étés presque sans nuits... Car j'aimais tant l'aube, déjà, que ma mère me l'accordait en récompense. J'obtenais qu'elle m'éveillât à trois heures et demis, et je m'en allais, un panier vide à chaque bras, vers des terres maraîchères qui se réfugiaient dans le pli étroit de la rivière, vers les fraise, les cassis et les groseilles barbues.

    À trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et quand je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par son poids baignait d'abord mes jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps... J'allais seule, ce pays mal pensant était sans dangers. C'est sur ce chemin, c'est à cette heure que je prenais conscience de mon prix, d'un état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale, déformé par son éclosion...

    Ma mère me laissait partir, après m'avoir nommée « Beauté, Joyau-tout-en-or » ; elle regardait courir et décroître sur la pente son oeuvre, - « chef-d'oeuvre », disait-elle. J'étais peut-être jolie ; ma mère et mes portraits de ce temps-là ne sont pas toujours d'accord... Je l'étais à cause de mon âge et du lever du jour, à cause des yeux bleus assombris par la verdure, des cheveux blonds qui ne seraient lissés qu'à mon retour, et de ma supériorité d'enfant éveillé sur les autres enfants endormis.

    Je revenais à la cloche de la première messe. Mais pas avant d'avoir mangé mon soûl, pas avant d'avoir, dans les bois, décrit un grand circuit de chien qui chasse seul, et goûté l'eau de deux sources perdues, que je révérais. L'une se haussait hors de la terre par une convulsion cristalline, une sorte de sanglot, et traçait elle-même son lit sableux. Elle se décourageait aussitôt née et replongeait sous la terre. L'autre source, presque invisible, froissait l'herbe comme un serpent, s'étalait secrète au centre d'un pré où des narcisses, fleuris en ronde, attestaient seuls sa présence. La première avait goût de feuille de chêne, la seconde de fer et de tige de jacinthe... Rien qu'à parler d'elles je souhaite que leur saveur m'emplisse la bouche au moment de tout finir, et que j'emporte, avec moi, cette gorgée imaginaire... <o:p></o:p>

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    <?xml:namespace prefix = st1 ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:smarttags" /><st1:PersonName w:st="on" ProductID="La Chatte">La Chatte</st1:PersonName> (1933) <o:p></o:p>

    Colette aimait les chats<o:p></o:p>

    "(Saha) Elle courut quand il courut, le précéda à longues foulées... Le jabot gonflé, les oreilles basses, elle le regardait accourir en le provoquant de ses yeux jaunes, profondément enchâssés, soupçonneux, fiers, maîtres d'eux-mêmes..."

    "Mon petit ours à grosses joues... Fine-Fine chatte... mon pigeon bleu... Démon couleur de perle..."

    "...son pelage de chatte des Chartreux mauve bleuâtre, comme la gorge des ramiers..."

    "...ramenait... dans ses yeux d'or pur une expression familière."


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